"C'est un exemple de démocratie vivante"

Interview, 30 mars 2021: Le Temps; Vincent Bourquin

Le Temps: "MOUTIER - La ministre de la Justice, Karin Keller-Sutter, s’est fortement engagée pour mettre un terme à la Question jurassienne. Elle a suivi les traces d’un autre conseiller fédéral saint-gallois, Kurt Furgler, très actif dans le processus qui avait vu la création du canton du Jura."

La majorité des habitants de Moutier a décidé dimanche de rejoindre le canton du Jura. Avec 374 voix de différence, le résultat est nettement plus net qu’en 2017 où les deux camps n’étaient séparés que par 137 voix. Ce vote a été possible grâce à une forte participation de la Confédération, qui avait notamment envoyé des observateurs sur place. En tant que ministre de la Justice, c’est Karin Keller-Sutter qui préside la tripartite composée également des représentants des autorités jurassiennes et bernoises. La PLR saint-galloise s’est fortement engagée pour que ce scrutin se déroule dans les meilleures conditions possible. Vingt-quatre heures après les résultats, elle ne cache pas sa satisfaction sur la manière dont s’est déroulé ce long processus.

Le vote de dimanche à Moutier marque-t-il vraiment la fin de la Question jurassienne?
Pour la Conférence tripartite que je préside, il était clair que la Question jurassienne serait close après un vote valable sur l’avenir de Moutier. On ne peut bien sûr pas empêcher des mouvements de lutte de poursuivre leurs objectifs. Mais il n’y aura pas d’entrée en matière des autorités bernoises et jurassiennes.

Donc, au final, ce processus s’est très bien passé.
Je suis vraiment très contente que ce processus, parfois épineux, puisse se conclure de manière claire. On a véritablement examiné tous les détails.

La Confédération s’est beaucoup engagée dans ce processus. Un tel investissement pour 7500 personnes était-il justifié?
Oui. Le rôle de la Confédération était essentiel. La Question jurassienne est un événement majeur de l’histoire suisse récente.

Pour vous, en tant que Saint-Galloise, la Question jurassienne signifiait-elle quelque chose avant que vous soyez conseillère fédérale ou c’était un sujet trop éloigné de vos préoccupations?
J’étais adolescente quand les Béliers étaient actifs. On les voyait au Téléjournal et on savait qu’il y avait un problème dans ce coin de la Suisse. Mais c’était assez loin. Comme je m’intéresse beaucoup à l’histoire suisse, aux cantons et au fédéralisme, j’ai rapidement pris conscience que c’était un événement politique majeur de l’histoire suisse. La Question jurassienne, ça a aussi été un test de résilience pour nos institutions et pour la paix confédérale.

Il existe un lien étroit entre Saint-Gall et la Question jurassienne. C’est un autre conseiller fédéral saint-gallois, Kurt Furgler, qui est à l’origine de la création du canton du Jura et aujourd’hui c’est vous qui mettez un terme à la Question jurassienne. Est-ce un hasard?
J’y ai également réfléchi. Avec Kurt Furgler, nous étions amis et j’ai souvent pensé à lui durant tout ce processus. Je regrette qu’il ne soit plus parmi nous pour vivre l’épilogue. Dans une séance tripartite, j’ai dit que je poursuivais l’héritage de Kurt Furgler et que je souhaitais que la Question jurassienne soit réglée une fois pour toutes. C’est vrai aussi que comme Saint-Gallois, l’éloignement géographique nous a permis de prendre la distance nécessaire. D’un côté je connais bien la Suisse romande où j’ai passé une partie de ma jeunesse, de l’autre j’habite presque en Autriche (rires) et j’ai donc la neutralité requise.

Avant vous, c’était une Bernoise, Simonetta Sommaruga, qui gérait ce dossier. Elle a parfois été accusée par les Jurassiens de manquer d’impartialité
Elle s’est aussi beaucoup engagée. Peut-être que c’était plus facile pour moi, qui ne suis ni Romande, ni Bernoise, d’être perçue comme impartiale.

Tout le processus a été très tendu. Au dernier moment, le Conseil-exécutif bernois a émis des doutes sur l’intégrité du registre électoral. Vous avez eu peur que tout échoue?
Je n’étais pas inquiète. J’étais encore récemment à Moutier et nous avions convenu au sein de la tripartite que les représentants des deux cantons ne se déplaceraient pas à Moutier, qu’ils ne s’exprimeraient pas et ne feraient pas campagne. Tout au long du processus, j’ai rappelé, quand c’était nécessaire, les règles du jeu aux différents acteurs et ensuite cela s’est apaisé. Cet apaisement voulu par la Confédération doit se poursuivre maintenant. Il faut toujours penser à l’après-vote.

Par rapport à cet après-vote, la situation est beaucoup plus calme qu’en 2017. Les discours de la présidente du gouvernement jurassien, Nathalie Barthoulot, ou du maire de Moutier, Marcel Winistoerfer, se voulaient plutôt rassembleurs…
Oui, j’étais très contente de les entendre. C’est aussi le résultat du travail effectué ces dernières années. Un vote démocratique, ce n’est pas un match de football, avec des gens qui triomphent à la fin. Certains l’oublient. Il faut toujours penser à ceux qui ont perdu.

Plus de 2000 personnes étaient rassemblées dimanche dans les rues de Moutier, cela donnait tout de même l’impression d’un triomphe.
Je parlais de la retenue des représentants officiels et c’est cela qui est important. Que des jeunes ou des gens qui se sont battus toute leur vie pour la cause jurassienne veuillent fêter, je peux le comprendre.

Comment la Confédération va-telle continuer à accompagner ce processus?
Si nous sommes sollicités, nous pourrons continuer à organiser des séances tripartites afin de discuter des modalités de transfert. Par ailleurs, il y a encore des procédures politiques à respecter. Il y aura des votes dans les deux cantons, ainsi qu’aux Chambres fédérales.

Le transfert de Moutier pour le 1er janvier 2026, comme l’espère le canton du Jura, c’est possible?
J’estime que c’est réaliste.

Craignez-vous qu’il y ait encore des tensions dans la suite de ce processus ou cela sera-t-il une simple formalité?
En Suisse, la coutume est de respecter les décisions prises de manière démocratique. Je serais très étonnée que ce processus puisse être stoppé par une décision contraire d’une autre instance. Il faut respecter cette décision claire des personnes directement concernées.

Ce vote démontre-t-il que la démocratie directe est le meilleur système pour régler des questions identitaires?
C’est en tout cas une démonstration de la souplesse de nos institutions et de nos procédures démocratiques, ainsi que du rôle de médiation de la Confédération. La résolution de la Question jurassienne entre dans l’histoire de l’Etat fédéral comme un exemple de démocratie vivante. La décision a été prise librement par les citoyennes et les citoyens de Moutier. Et je veux vraiment croire que c’est la dernière étape de la résolution pacifique de la Question jurassienne.

Dossier

Communiqués

Javascript est requis pour afficher les communiqués de presse. Si vous ne pouvez ou ne souhaitez pas activer Javascript, veuillez utiliser le lien ci-dessous pour accéder au portail d’information de l’administration fédérale.

Vers le portail d’information de l’administration fédérale

Interviews

Dernière modification 30.03.2021

Début de la page